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Comment faire de l’innovation un levier de performance pour les marchés publics ?

DÉCEMBRE 2018

De l’exigence toujours croissante d’un accès à l’innovation

Dans un précédent article, nous soulignions les bénéfices d’une démarche de sourcing conduite préalablement au lancement d’une consultation.

Entre autres apports, un sourcing bien mené permet d’identifier les fournisseurs et solutions les plus innovants et ainsi de répondre à une attente toujours croissante des prescripteurs internes ou externes (i.e. Usagers/Clients).

De fait, la collaboration avec des tiers (notamment fournisseurs) innovants est le mode d’accès aujourd’hui le plus efficace et rapide à l’innovation. Il est souvent défini sous le terme d’innovation « ouverte » (open innovation).

A l’occasion d’une conférence tenue à Sofia en mai 2018, sur le thème « A renewed European Agenda for Research & Innovation », la Commission Européenne a publié un guide « Acheter innovant » (Guidance on Innovation Procurement[1]) notamment à l’attention des acheteurs publics. Ces derniers sont invités à ne plus uniquement se préoccuper du « comment acheter » (sécurisation juridique) mais à s’intéresser au « quoi acheter », au-delà de la satisfaction de leurs besoins primaires.

Tutelles, élus, usagers, ... perçoivent aujourd’hui la commande publique comme un véritable outil de politique publique et ont une exigence forte en matière de qualité, de délai ou d'impact environnemental, social et économique (RSE). Toutes choses apportées par des solutions innovantes.

Alors que seules 20% des entreprises françaises ont été invitées à innover par la commande publique en 2015 (source : Measuring the Link between Public Procurement and Innovation - OCDE, 2016 [2]), plus de 50% des entreprises hollandaises ou italiennes, et près de 70% des entreprises allemandes, indiquent avoir été « explicitement et formellement » poussées à innover par les donneurs d’ordres publics de leurs pays respectifs. L’écart est « conséquent » (doux euphémisme) et un biais méthodologique dans la conduite de l’étude ne peut seul l’expliquer.

Pourtant, le Pacte National pour la compétitivité, la croissance et l'emploi[3], publié en novembre 2012, invitait l’Etat à réaliser 2% d’achats innovants d’ici 2020. Objectif rappelé par Emmanuel Macron lors de ses vœux à la French Tech le 29 Janvier 2016.

"Partout en France, dans tous les secteurs, il faut mobiliser l'achat public de produits et services d'entreprises innovantes." Cette formule résume parfaitement le challenge de taille que les acheteurs publics doivent relever : faire de la commande publique un véritable levier d'innovation.

Qu’est-ce qu’un achat innovant ?

La définition retenue par le législateur est « Sont innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister dans la mise en œuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l’entreprise » (Article 25 du décret n° 2016-360[4] reprenant le « Manuel d’Oslo »[5] publié par la Commission Européenne).

Fondamentalement, deux façons d’acheter de l’innovation peuvent être distinguées :

  • Acheter/financer le processus d'innovation et escompter de potentiels résultats ;
  • Acheter des biens, services ou procédés nouveaux (ou sensiblement améliorés) d’ores et déjà disponibles, pour un usage immédiat.

Dans le premier cas, l’acheteur public achète des services de recherche et développement. Il décrit ses besoins en invitant les entreprises et les chercheurs à développer des biens ou services nouveaux. Il peut également susciter l’innovation en matière de procédés mis en œuvre (modes de production ou de distribution) pour répondre au besoin.

Dans le second cas, l’acheteur public agit comme un adoptant précoce (« early adopter ») et achète un bien, un service ou un procédé qui est nouveau sur le marché et contient des améliorations substantielles.

Outre la volonté politique de soutenir les entreprises innovantes, l’accès à l’innovation est d’abord un enjeu de performance au bénéfice du donneur d’ordres et de ses usagers/clients. Il faut cependant accepter le principe que le recours à des solutions innovantes peut déstabiliser l’organisation, les processus et pratiques en place (innovation perturbatrice) ou même induire des changements plus structurels (innovation transformative).

Quelles procédures de passation pour accéder à l’innovation ?

Les principales procédures de passation que l’acheteur public peut utiliser pour favoriser l’intégration de solutions innovantes sont :

  • Les procédures autorisant la négociation (MAPA, PCN, Marché négocié sans publicité ni mise en concurrence préalable, ...)
  • Le dialogue compétitif ;
  • Le concours ;
  • Le partenariat d’innovation ;

Ci-dessous le tableau récapitulatif de ces procédures, permettant de favoriser l’acquisition ou le développement de solutions innovantes :

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Les bonnes pratiques pour acheter innovant, telles que définies par la Communauté Européenne :

  • Rédiger un cahier des charges fonctionnel. Les opérateurs économiques apprécient une formulation « ouverture » qui valorise leurs atouts distinctifs. Si les exigences minimales doivent souvent être définies de façon « technique » (orientée « moyens ») ; il est opportun d’exprimer le besoin de façon « fonctionnelle » (orienté « résultats ») pour que les entreprises puissent donner libre cours à leur créativité. Certainement est-il utile de former prescripteurs et acheteurs aux nouvelles techniques de rédaction des CCTP ainsi que d’analyse des offres. Certainement faut-il aussi changer quelques traits culturels et réduire une aversion aux risques peut-être trop marquée.
  • Autoriser, autant que possible, les variantes dans les réponses aux consultations. La formulation d’exigences fonctionnelles favorise l’ouverture à variantes. L’approche par les résultats concentre l’analyse des offres sur des critères de performance, d’efficacité, de coûts ou de durabilité.
  • Penser « coût complet de possession » (TCO) plus que « prix ». L’appréhension des coûts autres que le prix, sur le cycle de vie du bien ou service acquis, peut changer sensiblement la valeur donnée à une offre innovante et compenser le poids de son prix. Ainsi, une innovation autorisant une réduction des externalités environnementales ou des coûts de maintenance sera valorisée au moment de l’analyse des offres.
  • Insérer des clauses de performance. Les termes du contrat doivent exprimer l’exigence d’innovation. Typiquement :
    • Clauses d'exécution du contrat adossées à des indicateurs de performance mesurables ;
    • Clauses de sortie en cas de « sous-performance » mesurée, y compris par rapport à des indices « marché » opposables (ex : performance constatée par d’autres donneurs d’ordres aux besoins comparables) ;
    • Clauses de modification de contrat prévoyant de réajuster, à la hausse, les objectifs de performance, à l’aune des gains non anticipés, générés par l’innovation, et constatés pendant l'exécution du contrat.

Quelques obstacles à passer pour un achat public innovant

Les acheteurs publics doivent conduire un changement de pratiques pour notamment dépasser plusieurs obstacles :

  • Les acheteurs ne sont pas embarqués suffisamment en amont des dossiers Achats. Le déficit de dialogue avec les services prescripteurs ne permet pas aux acheteurs d’exercer pleinement leur rôle de « veille » et d’intermédiation. Ils ne disposent pas de suffisamment de temps pour stimuler l’innovation et intégrer aux DCE les exigences relatives à celles-ci. Quand l’innovation est souhaitée par le service prescripteur (Ex : Ingénierie ou R&D), le rôle de l’acheteur est trop souvent cantonné à régulariser un choix de solution et d’opérateur d’ores et déjà fait.
  • Il est difficile de mesurer la performance Achats liée à l’innovation. Si l’innovation est l’un des cinq axes (QCDRI) sur lesquels la performance Achats doit être mesurée, c’est certainement celui sur lequel les acheteurs ont le plus de difficulté à produire des indicateurs fiables et à étalonner ceux-ci par rapport aux bonnes pratiques. La définition de l’innovation pouvant être assez extensive, il faut être attentif à ne pas créer des indicateurs « fourre-tout » perdant rapidement tout sens. Un préalable est donc de mener un travail de définition précise des règles qui qualifient un achat public d’innovant.
  • Les acheteurs ne maîtrisent pas toujours les différentes ingénieries de passation. En effet, certaines procédures sont récentes ou complexes, à l’instar du partenariat d’innovation ou du marché négocié en « gré à gré ». Fondamentalement, l’accès à l’innovation suppose de savoir conduire une démarche incrémentale de type « agile » et de maîtriser les techniques de négociation. Deux compétences qui ne sont pas encore pleinement ancrées dans l’ADN de l’acheteur public.
  • Les procédures de passation des marchés publics sont souvent particulièrement longues et coûteuses. Les entreprises innovantes, notamment les « startup », ont besoin de résultats et de revenus tangibles à court terme.

Conclusion

L’achat public innovant est un sujet complexe qui porte trop d’enjeux pour qu’il ne fasse pas l’objet d’un travail collaboratif associant l’ensemble des parties prenantes au sein du donneur d’ordres. La fonction Achats est évidemment toute légitime à exercer un rôle d’animatrice des projets de développement de l’innovation lorsque celle-ci est « ouverte ».

La valorisation de l’innovation doit être pensée au-delà des seuls gains d’image (« je soutiens l’innovation et m’affiche comme un bon élève »). La commande publique innovante doit générer des gains tangibles directs (Qualité, Coûts, Délais, RSE) mais aussi indirects (Satisfaction du Client final, Stimulation d’un écosystème et création d’emplois). Pour certains acheteurs publics (ex : Secteur de la Santé, secteurs spéciaux, ...), l’accès à l’innovation, c’est aussi la perspective de recettes additionnelles. L’approche n’est plus guidée par l’analyse des coûts (TCO) mais par l’analyse de la valeur créée (TVO).

L’apport de nouvelles méthodes Achats (ex : TCO/TVO) et de nouveaux outils informatiques (Tableaux de bord) permettent d’espérer que la mesure de la performance Achats ne soit plus un rocher de Sisyphe. Le recours à l’innovation peut être aujourd’hui mieux mesuré, donc justifié et incidemment mieux accepté.

Pour aller plus loin :

 Publications européennes :

En France :

La Direction des Affaires Juridiques a publié, depuis 2013, un guide de l’achat innovant. Ce document présente de manière plus approfondie les enjeux, contraintes et bonnes pratiques liés à l’achat innovant.

 

 


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